On a souvent taxé la «ville belle» que Platon décrit dans République d’utopisme, d’un utopisme parmi les plus fantastiques ou fanatiques, et «artificiels», que l’«idéalisme» platonicien ait jamais conçu. Au contraire, le discours platonicien a une riguer de démonstration qui a bien peu de parallèles possibles dans les autres démonstrations, Û comprises celles de thèses et doctrines importantes, comme la théorie des idées ou celle de l’âme. Le déplacement de la discussion sur la justice du champ individuel au champ social et politique dans les livres II et ò avait donné lieu a la délinéation d’unveritable histoire économique et sociale des groupements humains. Le livre IV s’ouvre justement avec une question d’Adimante, un des interlocuteurs principaux du dialogue, à Socrate: comment pourras-tu te justifier si l’on t’objectera que tu ne rends nullement heureux (419a2: eudaimonas) ces hommes? Ils sont les véritables maîtres de la ville mais il n’en tirent aucun profit. La réponse de Socrate est déjà une première description de l’horizon dans lequel on développera l’argument qui va suivre: un horizon double, on pourrait dire, qui se fonde justement sur l’opposition entre aujourd’hui et demain. Dans l’horizon de cette opposition, on renverse révolutionnairement la fa≥on usuelle de penser: c’est l’aujourd’hui en effet qui représente le «paraître», et c’est le demain à se présenter en tant que «être»; ou mieux, le demain est une réalité qui n’est pas celle d’aujourd’hui, mais est elle-même située dans l’horizon du «devoir-être». L’aujourd’hui, dans cette perspective, a justement le caractère de l’«absence» d’une ville vraie. C’est seulement lorsque le changement de l’ordre politique de la ville sera réalisé, qu’on pourra constater la bonté réelle des solutions proposées et elles seront conséquemment possibles, c’est-à-dire qu’elles pourront être concrètement réalisées.
Plato, "Republic", Kallipolis